Epure Une installation scientifique pour la dissuasion nucléaire
Octobre 2025

Les détecteurs

Des détecteurs capables de produire des images numériques à partir de flux de particules 80 fois plus énergétiques que dans le médical et en un temps 1 million de fois plus rapide, voilà ce qu’ont développé des ingénieurs-chercheurs de l’équipe radiographie du CEA - DAM.

Issus de technologies existantes dans le commerce, les capteurs utilisés dans les expériences sur Epure sont adaptés pour répondre aux enjeux spécifiques de l’installation. Ces détecteurs ont pour objectif de transformer le flux de particules incidentes issues des machines radiographiques en image numérique exploitable.

Alors que les détecteurs développés dans le monde médical sont capables de réaliser une image numérique d’un photon d’énergie de 50 keV, l’énergie moyenne des photons incidents lors des expériences de radiographie éclair est d’environ 4 MeV. Il faut donc utiliser des détecteurs dits à haut pouvoir d’arrêt afin que les photons incidents interagissent dans le milieu détecteur et que l’effet produit par cette interaction soit détecté. En plus de cela, les vitesses de déplacement de l’objet radiographié sont de l’ordre de plusieurs kilomètres par seconde et la durée d’irradiation, délivrée par les machines radiographiques, est inférieure à 100 nanosecondes, soit une performance 1 million de fois plus rapide que pour une imagerie médicale dont le temps d’exposition est de l’ordre de 0,1 seconde. Ainsi, les détecteurs doivent avoir un temps d’intégration adapté à la durée d’irradiation tout en limitant le flou de bougé.

Afin de répondre à toutes ces exigences, nous avons développé deux détecteurs complémentaires, utilisés simultanément lors de chaque expérience. Le premier est constitué d’écrans radioluminescents à mémoire de dimensions 20 cm × 40 cm. Il s’agit d’un écran à base de phosphore qui a la capacité de stocker l’information créée par interaction rayonnement-­matière, puis de la restituer par photostimulation lors de la lecture de l’écran par un scanner. Alors qu’il est constitué d’un seul écran radio dans le monde médical, le détecteur utilisé lors des expériences sur Epure, illustré sur la figure 1, comporte quant à lui vingt écrans, permettant ainsi d’augmenter le rapport signal à bruit de l’image numérique finale. L’autre avantage de ce détecteur est sa bonne résolution spatiale qui permet d’observer des détails allant jusqu’à quelques centaines de micromètres, soit l’équivalent de quelques cheveux humains.

Le second détecteur utilisé en complément du premier est appelé une gamma-caméra. Ce détecteur est constitué de différents éléments qui permettent de convertir les rayons X en une image numérique. La gamma-caméra est composée en face avant d’un scintillateur de 20 cm × 20 cm, qui convertit les rayons X en lumière visible. L’image lumineuse issue du scintillateur est acquise par une caméra CCD (charge-coupled device) au travers d’un miroir de renvoi et d’un objectif. Deux protections en plomb, un mur positionné le long de l’objectif et un cylindre encerclant la caméra CCD permettent de protéger la caméra et l’objectif des rayonnements diffusés (pour plus d’explications sur cette notion, voir l’article 2b « Installation multiaxe »). Cette structure alourdie fait que l’ensemble mesure plus de 1 mètre et pèse près de 1 tonne (voir figure 2) ; les protections sont néanmoins nécessaires pour un rendu exploitable de l’image numérique.

L’avantage principal de ce détecteur est sa bonne sensibilité, c’est-à-dire qu’il est capable de détecter un grand nombre de particules incidentes, proportionnellement au nombre de photons incidents délivrés par la machine radiographique. L’image réalisée par la gamma-caméra est disponible quasiment immédiatement après la réalisation de l’expérience.

Profitant de leurs caractéristiques complémentaires, ces deux détecteurs sont utilisés simultanément lors des expériences. Cette utilisation combinée permet aussi de pallier un éventuel défaut de fonctionnement d’un détecteur ou de l’autre lors de la réalisation de l’expérience.

Préalablement à la réalisation d’une expérience, les équipes réalisent des tests, en collaboration avec les responsables radiographiques, pour s’assurer que les machines et les détecteurs radiographiques fonctionnent correctement et de manière synchrone. Au cours de ces essais, un objet appelé maquette est testé, il est représentatif des matériaux utilisés et des détails observés lors des expériences. Au centre de cette maquette est placé un IQI (indicateur de qualité d’images) illustré sur la figure 3 qui permet de s’assurer que les machines radiographiques et les caractéristiques techniques des détecteurs répondent aux exigences de conception de l’expérience, qui varient d’une expérience à l’autre.

Par améliorations successives, les détecteurs radiographiques sont de plus en plus performants. Ils évoluent conjointement avec les progrès des machines et de la chaîne radiographique et bénéficient des évolutions technologiques. Pour les besoins radiographiques futurs, les détecteurs font l’objet d’études de R&D afin d’améliorer continûment leurs performances, notamment la résolution, la sensibilité et le rapport signal à bruit.

M. Wansek CEA - DAM, centre DAM Île-de-France

figure 1

[a] Photographie d’un empilement d’écrans radioluminescents à mémoire constitué d’une alternance d’écrans radio en blanc et de feuilles de tantale en noir, permettant d’augmenter le pouvoir d’arrêt du détecteur. [b] Photographie du détecteur constitué et utilisé lors des expérimentations sur l’installation Epure.

la radiographie éclair

figure 2

[a] Photographie d’un scintillateur constitué de trois blocs joints qui convertit les rayons X en photons visibles. [b] Photographie d’une gamma-caméra contenant un miroir, un objectif et une caméra CCD permettant de créer l’image numérique

figure 3

[a] Indicateur de qualité d’images de 2 cm de diamètre conçu pour tester, en amont d’une expérience, les machines et les détecteurs radiographiques. [b] Image de l’indicateur obtenue pour les détecteurs radiographiques.