Epure Une installation scientifique pour la dissuasion nucléaire
Octobre 2025

Source de rayonnement X

L’installation Epure exploite trois machines radiographiques permettant de générer des photons X avec des énergies suffisamment élevées pour pénétrer le dispositif de confinement et les objets à étudier. Ces machines répondent à un besoin que l’on ne retrouve nulle part dans l’industrie. Elles sont donc spécifiques et résultent de plusieurs décennies de recherche et développement menés au sein du CEA - DAM. L’utilisation de ces machines nécessite un savoir-faire unique tant en matière de conception que d’exploitation.

Les expériences hydrodynamiques nécessitent des sources X spécifiques en matière d’énergie, de taille et de dose. Ces expérimentations sont très particulières dans le sens où elles sont brèves et mettent en œuvre des matériaux lourds et comprimés atteignant des densités très élevées (plusieurs fois leur valeur initiale). En conséquence, les machines radiographiques doivent fournir une dose élevée pour garantir un signal suffisant sur le détecteur, une émission très brève (< 100 ns) pour éviter le flou de bougé de l’objet et des énergies élevées afin de traverser des matériaux présentant de forts taux d’absorption.

Le besoin d’une énergie élevée est dicté par les matériaux mis en œuvre dans la cuve. L’atténuation du rayonnement dans un matériau est déterminée par trois grandeurs : sa masse volumique ρ, son épaisseur l ainsi que le coefficient d’absorption massique ĸ dépendant de l’énergie du rayonnement et du matériau. L’équation de Beer-Lambert sur la figure 1 décrit l’atténuation du rayonnement incident dans un matériau.

Les matériaux mis en œuvre dans la cuve (aluminium, titane, acier, tantale, etc.) ont des masses volumiques et des coefficients d’atténuation k élevés. En étudiant la variation des coefficients d’atténuation de ces matériaux en fonction de l’énergie du rayonnement incident (figure 2), on constate un minimum d’absorption entre 4 MeV et 20 MeV. L’exploitation des photons X générés par nos sources radiographiques sera optimale si celles-ci possèdent des énergies de rayonnement incident dans cette plage. L’ordre de grandeur des atténuations rencontrées peut atteindre 104.

À Epure, le principe physique utilisé pour générer des photons X est le rayonnement de freinage émis par le ralentissement d’électrons par des atomes (voir ­l’article 3a « Des électrons pour des photons »). La technique utilisée sur ces machines consiste à accélérer des électrons jusqu’à l’énergie désirée et à les faire interagir avec une cible en tantale (figure 3). La dose D produite par la machine est l’intégrale du spectre en énergie des photons et dépend du courant I – proportionnel à la quantité d’électrons –, de l’énergie de ces électrons E et du temps Δt durant lequel ils frappent la cible : D  I · Eα · Δt, avec α ≈ 2,7 (déterminé empiriquement). Le rayonnement X produit n’est pas monoénergétique et possède un spectre s’étendant de zéro à l’énergie maximale des électrons impactant la cible.

Les photons X émergent de la cible depuis une surface réduite, caractéristique de la performance de la machine. Le cône d’émission de ce flux de rayons X, appelé lobe, est centré sur la direction des électrons incidents et possède un angle d’ouverture dépendant de l’énergie des électrons. De plus, l’intensité du rayonnement n’est pas uniforme sur l’ensemble de la surface émissive, appelée tache focale.

Deux technologies de sources sont employées à Epure. Deux des trois machines produisent des photons X d’énergie maximale proche de 20 MeV en utilisant un accélérateur linéaire à induction (LIA, voir l’article 3b « Les accélérateurs linéaires à induction »). La troisième machine est basée sur un générateur de hautes puissances pulsées de type inductive voltage adder (IVA) qui polarise une diode avec une tension pouvant atteindre 8 MeV. Les électrons arrachés à la cathode et accélérés dans l’espace entre la cathode et l’anode, d’environ 10 cm, impactent cette dernière et produisent le flux X recherché.

Les accélérateurs linéaires à induction offrent des taches focales de petite taille (entre 1,5 et 3 mm) et un lobe resserré. Celui-ci doit être particulièrement bien caractérisé, car son influence sur la mesure est notable. Ces machines demandent des réglages fins et complexes de leurs lignes accélératrices, mais, une fois maîtrisées, elles offrent une stabilité et une reproductibilité remarquables. La diode crée un champ de vue plus ouvert avec un lobe uniforme au détriment d’une tache focale un peu plus large et d’un fonctionnement moins reproductible. L’exploitation d’une diode nécessite plus de maintenance, il faut changer la diode et nettoyer son environnement après chaque flash.

Ainsi, les sources X exploitées sur Epure ont une tache focale comprise entre 1,5 et 5 mm et une dose de l’ordre de 3 à 5 grays. En modifiant les paramètres des machines, un compromis est retenu entre la dose et la tache focale de la source pour une expérience donnée. En favorisant la dose, on dispose de plus de signal pour étudier un objet de masse surfacique plus élevée, alors qu’en favorisant la tache focale, on améliore la résolution de la chaîne radiographique.

L’exploitation d’une radiographie Epure nécessite de disposer de sources X parfaitement connues et reproductibles. Le fonctionnement des machines est ajusté pour s’adapter à l’ensemble des phénomènes hydrodynamiques de l’objet étudié. On réalise une série de flashes X de caractérisation (tache focale, lobe, mesure de dose, etc.) préalablement à l’expérience. La variabilité de fonctionnement des machines doit être déterminée afin de quantifier son impact sur l’incertitude expérimentale.

V. Brandon CEA - DAM, centre DAM Île-de-France

la radiographie éclair

figure 1

Description du modèle d’atténuation d’un rayonnement traversant un matériau. S0 et S représentent l’intensité du flux de rayonnement initial et atténué respectivement.

figure 2

Coefficient d’absorption massique en fonction de l’énergie pour des matériaux d’intérêt.

figure 3

Principe de l’émission de photons par freinage d’un électron (e) lors de son interaction avec un atome (noyau et nuage électronique). Les photons émis ont des énergies différentes selon le ralentissement subi par l’électron.