Epure Une installation scientifique pour la dissuasion nucléaire
Octobre 2025

Avant-propos

Le programme Simulation et Epure

Une réussite exceptionnelle à plus d’un titre

C’est difficile ? Alors, il faut chercher. C’est votre métier de chercher et vous en avez la compétence. Nous disposons d’assez de savants, d’assez de chercheurs, d’assez d’ingénieurs, d’assez d’imagination et de courage. » C’est par ces mots que, le 5 mai 1994, le président de la République mettait le CEA - DAM au défi de concevoir et garantir à long terme les armes nucléaires de la France sans essais nucléaires nouveaux. La perspective d’un arrêt définitif des essais nucléaires marquait ainsi le début de la formidable aventure du programme Simulation.

Et il en a fallu des « savants » pour développer les modèles physiques capables de reproduire le fonctionnement des armes. Il en a fallu des « chercheurs » pour traduire ces modèles en algorithmes et pour les résoudre sur des supercalculateurs. Et il en a fallu des « ingénieurs » pour développer des instruments expérimentaux hors du commun, capables de valider les simulations numériques.

Car contrairement à ce que d’aucuns pourraient croire, le développement de la simulation ne signifie pas la victoire du virtuel sur le réel. Bien au contraire ! Le programme Simulation est solidement ancré sur ses trois piliers : la modélisation physique, la simulation numérique et la validation expérimentale dont Epure est un instrument emblématique au même titre que le Laser Mégajoule. Ces instruments sont indispensables à la garantie de sûreté et de fiabilité des têtes nucléaires dans le temps.

Une arme nucléaire est un formidable amplificateur d’énergie qui permet en une fraction de seconde de multiplier l’énergie électrique de l’initiateur par un million de milliards (de 1 J à 1015 J en moins de 100 μs). Pour produire une telle amplification, la première phase consiste à mettre la matière nucléaire dans des conditions propices au déclenchement d’une réaction en chaîne, à l’aide d’un explosif chimique. En l’absence d’essais nucléaires, la maîtrise de cette phase, cruciale pour le fonctionnement, passe par la réalisation d’expériences au sein d’installations radiographiques comme Epure, mettant en œuvre des explosifs et des matériaux identiques ou proches de ceux des armes, mais dimensionnés pour ne pas atteindre le seuil de déclenchement des réactions nucléaires.

Héritière d’une longue lignée de moyens de radiographie, engagée par les pionniers au fort de Vaujours et poursuivie au polygone d’expérimentation de Moronvilliers, l’installation Epure est bien plus qu’un simple générateur de rayons X. C’est un système expérimental complexe qui combine plusieurs axes de radiographie, des détecteurs et diagnostics, un ensemble expérimental associant pyrotechnie et nucléaire, une synchronisation et une infrastructure de soutien permettant la réalisation d’expériences ultra-précises dans des conditions de sécurité et de sûreté maximales. Qui plus est, pour ajouter à la complexité technique une complexité organisationnelle, cette installation est développée et exploitée en coopération internationale avec nos partenaires britanniques (voir encadré) dans le cadre du traité Teutatès. Et pourtant, les équipes ont su faire preuve « d’assez d’imagination et de courage » pour réussir dans cette installation des essais uniques au monde.

Plus précisément, les expériences menées sur Epure permettent d’acquérir en laboratoire des données de physique indispensables pour valider les simulations numériques qui servent à garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires. Concrètement, elles sont conçues pour caractériser avec la plus grande précision l’état et le comportement des matières nucléaires, notamment le plutonium, dans les conditions rencontrées juste avant la phase nucléaire de fonctionnement des armes. Des explosifs conventionnels à fort pouvoir propulsif sont utilisés pour comprimer la matière, qui se comporte alors comme un fluide. Sur Epure, on peut étudier ce phénomène en observant, selon trois axes radiographiques, comment la compression et les ondes de choc évoluent et comment la matière se comporte. Les expériences sont réalisées en toute sécurité au sein d’une enceinte de confinement étanche qui résiste à l’explosion. Les images du processus d’implosion sont réalisées par de puissantes machines radiographiques éclair d’un très haut niveau de performance.

Les concepteurs d’armes disposent d’un outil incomparable pour adapter et garantir les charges nucléaires. Cet outil permet de répondre ainsi aux demandes des plus hautes autorités françaises pour maintenir la crédibilité de notre dissuasion face à l’évolution des défenses et du contexte international.

Denis Vacek
Directeur du programme Simulation au CEA - DAM

encadré

Le traité Teutatès

Le traité Teutatès a été signé entre la France et le Royaume-Uni à Lancaster House, à Londres, le 2 novembre 2010, par le président de la République française et le Premier ministre britannique. Ce traité matérialise la coopération franco-britannique dans le nucléaire de défense. Il a été signé le même jour que le Traité de coopération en matière de sécurité et de défense qui réunit également la France et le Royaume-Uni et dont les objectifs sont plus larges. Teutatès permet de maintenir les capacités de dissuasion nucléaire de nos deux pays en structurant une coopération technique et technologique autour d’installations qui contribuent aux programmes de renouvellement des armes de chaque nation.

Cette coopération est en totale conformité avec les exigences du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires qui interdit les explosions expérimentales d’armes nucléaires ainsi que toute autre explosion nucléaire. Tout en tenant compte de leurs obligations vis-à-vis de ce traité, nos deux pays avaient besoin de développer des installations et de mettre en œuvre des expériences hydrodynamiques et radiographiques qui leur permettent de garantir la sûreté, la fiabilité et la performance de leurs armes nucléaires respectives en l’absence d’essais nucléaires nouveaux.

Après une étude commune, il s’est avéré que les besoins techniques et calendaires étaient très similaires pour chacun de nos deux pays et que la construction et l’exploitation d’un seul ensemble d’installations hydrodynamiques, plutôt que d’installations nationales, pourraient satisfaire aux attentes avec un coût total moindre. C’est pour cette raison que les gouvernements français et britannique ont décidé de coopérer dans le cadre du programme Teutatès. Celui-ci a permis de générer d’importantes économies et de partager les connaissances et l’expertise des scientifiques et des experts de nos deux pays en matière de recherche et de technologie dans le domaine de l’hydrodynamique.

Le programme Teutatès comprend ainsi la construction et l’exploitation commune, en France, d’une installation hydrodynamique et radiographique, Epure, située sur le site de Valduc de la Direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). La France et le Royaume-Uni exploitent une seule et même installation. Cependant, la mise en œuvre des objets et les résultats expérimentaux ne sont pas partagés, ce qui permet à chaque nation de conserver sa souveraineté dans le domaine de la dissuasion.