Bilan 2024 des publications et de la vie scientifique de la Direction des applications militaires
Juillet 2025

Effets spectaculaires de température dans le plutonium

Une équipe conduite par le CEA - DAM vient de réaliser une première en montrant par la simulation que des effets spectaculaires de température sont à l’œuvre dans le plutonium en phase δ [1]. Ceux-ci conduisent à un effondrement des propriétés élastiques et à une contraction du volume en température. Ces travaux permettent au CEA - DAM d’avoir une compréhension plus précise des propriétés du plutonium et de valider la démarche entreprise depuis une trentaine d’années pour simuler son comportement.

Le plutonium est l’un des matériaux les plus fascinants. Même 80 ans après sa découverte, ce métal continue de poser des défis aux physiciens, théoriciens comme expérimentateurs. Le plutonium présente une succession de six phases cristallographiques différentes en fonction de la température à pression ambiante (voir figure 1a). Parmi elles, la phase δ est la plus utilisée en métallurgie, car elle est ductile (déformable sans cassure) et est donc la phase la plus étudiée. Sa plage de stabilité en température (593 K ≤ T ≤ 736 K) est relativement restreinte, mais peut être étendue en ajoutant des éléments chimiques comme le gallium. Cette phase possède des propriétés intrigantes en température, avec entre autres (figure 1) : une surprenante contraction du volume (dilatation thermique négative) et une chute inattendue de la résistance à la compression et au cisaillement (forte réduction des modules élastiques).

Au-delà de ces aspects liés à la structure du réseau atomique, le plutonium présente aussi des variations importantes de sa structure électronique. En effet, ses électrons se répartissent à l’intérieur du réseau atomique en se localisant ou se délocalisant, ce qui favorise l’apparition de phases cristallographiques (figure 1a) à grands volumes (p. ex. : δ) ou petits volumes (p. ex. : α). Ainsi, décrire toutes les phases du plutonium au moyen d’un même formalisme nécessite de traiter les électrons et les noyaux sur un pied d’égalité. Cela peut être fait au moyen de simulations numériques dites ab initio qui permettent de décrire les interactions entre électrons (quelques milliers) et les noyaux (quelques centaines) au moyen de la physique quantique. Cependant, ces simulations sont extrêmement gourmandes en ressources de calcul dans le cas du plutonium et exigeraient des années de calcul avec des milliers de processeurs sur le supercalculateur Exa du CEA - DAM pour obtenir un résultat à une seule température.

C’est la raison pour laquelle nous avons développé un code nommé MLacs (Machine Learning Assisted Canonical Sampling, voir figure 2) permettant d’accélérer grandement les simulations ab initio. En s’appuyant sur des outils d’apprentissage automatique (Machine Learning[2], MLacs remplace le modèle ab initio très coûteux par un modèle de substitution qui l’est beaucoup moins et divise par cent le coût de calcul. En démontrant la fiabilité de cette procédure sur de nombreux systèmes [3], nous avons montré que MLacs était capable de reproduire les résultats ab initio avec la même précision. Ce gain en temps et en ressources nous a permis d’effectuer des calculs sur le plutonium et d’obtenir un grand nombre de résultats avec un haut niveau de détail [1].

En particulier, la variation de volume qui a été prédite par cette méthode (figure 1a) est négative sur l’ensemble de la gamme de température (0 K ≤ T ≤ 800 K) avec un très bon accord avec l’expérience sur la plage de stabilité de la phase δ (593 K ≤ T ≤ 736 K). Sur la figure 1b, la baisse des modules d’incompressibilité et de cisaillement respectivement est en excellent accord avec les données expérimentales. Ces deux résultats, ainsi que d’autres présentés dans l’article [1], sont extrêmement importants pour le CEA - DAM. D’une part, aucune équipe internationale n’avait jamais obtenu ces propriétés du plutonium par la simulation. D’autre part, ils valident la stratégie entreprise depuis de nombreuses années par le CEA - DAM pour décrire précisément le plutonium par la simulation.

Ces travaux ouvrent la voie à l’étude des autres phases du plutonium et à la description de la phase δ alliée au gallium. Concernant ce dernier point, des études sont en cours et montrent que la réduction (ou l’augmentation) de volume en température est fortement dépendante de la concentration d’alliage. Par ailleurs, l’utilisation du code MLacs permettra d’obtenir de nombreuses autres grandeurs thermodynamiques du plutonium comme cela a été fait récemment pour l’or au CEA - DAM [4].

F. Bottin, R. Béjaud, B. Amadon, L. Baguet, M. Torrent CEA - DAM, centre DAM Île-de-France /

Université Paris-Saclay, CEA, LMCE, Bruyères-le-Châtel

A. Castellano NanoMat/Q-Mat/CESAM et European Theoretical Spectroscopy Facility, Université de Liège, Belgique

J. Bouchet CEA - DES, centre de Cadarache

figure 1

Propriétés de la phase δ du plutonium en fonction de la température entre T = 0 et 900 K. Les résultats issus des calculs réalisés avec le code MLacs développé au CEA - DAM sont en bleu et ceux issus des nombreuses expériences passées en noir (voir les références dans [1]). [a] Variation expérimentale du volume des différentes phases du plutonium. Seul le volume de la phase δ diminue quand la température augmente. Le calcul avec le code MLacs pour la phase δ reproduit très bien cette diminution de volume. [b] Chute des modules élastiques (incompressibilité et cisaillement) en fonction de la température : l’accord entre expérience et calcul est tout à fait satisfaisant (ici, la plage de stabilité de la phase δ a été étendue pour les mesures en ajoutant du gallium).

figure 2

Schéma de fonctionnement du code MLacs (voir aussi les références [2] et [3]) : 1) un calcul ab initio est réalisé sur une structure atomique au moyen du code Abinit, 2) les forces et déplacements atomiques obtenus sont ajoutés à une base de données, 3) un modèle de substitution est ajusté sur cette base, 4) une simulation en température est effectuée avec ce modèle au moyen du code Lammps, puis une configuration atomique est extraite de ce calcul et est envoyée à 1). Cette boucle infinie est interrompue lorsque certaines propriétés ab initio ont convergé. On dispose alors en sortie de la base de données et du modèle de substitution.

références

1

F. Bottin, R. Béjaud, B. Amadon, L. Baguet, M. Torrent, A. Castellano, J. Bouchet « Huge anharmonic effects in delta plutonium », Phys. Rev. B, 109, L060304, https://link.aps.org/doi/10.1103/PhysRevB.109.L060304 (2024).

2

Collectif du CEA - DAM Apprentissage automatique - Intelligence artificielle, revue Chocs, 54, 96 pages (2024).

3

A. Castellano, F. Bottin, J. Bouchet, A. Levitt, G. Stoltz « Ab initio canonical sampling based on variational inference », Phys. Rev. B, 106, L161110, https://link.aps.org/doi/10.1103/PhysRevB.106.L161110 (2022).

4

P. Richard, A. Castellano, R. Béjaud, L. Baguet, J. Bouchet, G. Geneste, F. Bottin « Ab initio phase diagram of gold in extreme conditions », Phys. Rev. Lett., 131, 206101, https://link.aps.org/doi/10.1103/PhysRevLett.131.206101 (2023).