Séisme ou explosion nucléaire : la réponse ne se fait plus attendre
Le CEA - DAM a aujourd’hui les moyens de confirmer en quelques minutes aux autorités françaises qu’une explosion nucléaire est survenue en Corée du Nord. En effet, les sismologues du CEA - DAM viennent de se doter d’un logiciel nommé GridMT qui permet une surveillance améliorée, avec une détection automatique et une caractérisation très rapide de tous les événements sismiques, qu’ils soient d’origine naturelle ou anthropique [1]. Cet outil complète les techniques d’analyse d’événements sismiques dont nous disposons pour la lutte contre la prolifération nucléaire.
Dimanche 3 septembre 2017, aux premières heures du matin, une alerte sismique réveille le sismologue d’astreinte du CEA - DAM : un événement a été détecté en Corée du Nord, suivi d’un second événement déclenchant une nouvelle alarme. Quelques heures plus tard, les autorités françaises étaient prévenues qu’une explosion nucléaire venait d’avoir lieu. La première alerte correspondait à l’explosion la plus énergétique enregistrée à ce jour sur le site d’expérimentation nord-coréen ; l’origine de la seconde alerte est restée incertaine pendant plusieurs jours. Aujourd’hui, grâce au logiciel GridMT, nous sommes capables en quelques minutes et non plus en quelques heures ou quelques jours de décrypter de tels événements.
Dans le cadre de ses missions, le CEA - DAM dispose d’une chaîne opérationnelle de détection sismique et analyse automatiquement, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, les vibrations du sol produites par divers phénomènes. Ces vibrations sont enregistrées par un réseau de sismomètres installés sur le globe terrestre [2]. Elles peuvent être d’origine naturelle, comme des tremblements de terre sur une faille tectonique ou des effondrements de terrain. Elles peuvent aussi être dues aux activités humaines, comme le passage de trains à proximité d’un capteur ou des explosions nucléaires. En cas de détection d’un événement sismique en France ou à l’étranger, une alerte est émise vers le sismologue d’astreinte du CEA - DAM.
Il lui faut alors confirmer la détection de l’événement, déterminer sa localisation, sa magnitude et sa nature [2]. La détermination de la nature de l’événement passe par la caractérisation de la source sismique, c’est-à-dire la détermination de son mécanisme, qui demeure souvent le travail de l’expert dans les heures ou les jours qui suivent. Celui-ci doit en effet identifier le mouvement des failles pour un tremblement de terre ou plus généralement décrire les forces qui sont responsables de la perturbation du sol enregistrée.
Pour cela, plusieurs méthodes sont disponibles. Les plus rapides sont empiriques, elles procèdent par analogie en s’appuyant sur les connaissances acquises à partir des événements sismiques passés (tremblements de terre, explosions nucléaires, etc.) ; néanmoins, leur fiabilité et leur précision ne sont pas toujours suffisantes. Le moyen le plus complet d’étudier dans le détail la source des événements est une approche mathématique appelée inversion des formes d’ondes sismiques. Elle permet d’en retrouver les caractéristiques en reproduisant par simulation numérique les signaux enregistrés par les stations sismiques.
Des chercheurs ont appliqué cette méthode d’inversion il y a une quinzaine d’années sur une grille d’épicentres potentiels dans des régions à fort taux de sismicité, comme le Japon et la Californie. Leurs objectifs étaient de détecter automatiquement et de caractériser tous les tremblements de terre se produisant dans ces régions [3,4]. Ces travaux ont abouti au logiciel GridMT (acronyme de Grid-based real-time Determination of Moment Tensors). Ainsi, suite à un séisme, toutes les informations importantes de l’événement sont connues en quelques minutes : GridMT identifie un point de la grille (figure 1) comme étant sa localisation à l’instant de détection et fournit aussi une estimation de sa magnitude et de sa nature.
Dans le cadre de sa mission de lutte contre la prolifération nucléaire, le CEA - DAM a récemment appliqué cette méthode à la surveillance automatique des explosions nucléaires en Corée du Nord [1]. Les résultats obtenus ont confirmé la nature des six explosions nucléaires qui ont eu lieu entre 2006 et 2017. Le logiciel GridMT a ensuite été intégré dans la chaîne opérationnelle de détection et d’analyse sismique. Désormais, l’outil aide le sismologue d’astreinte à confirmer et caractériser en quelques minutes seulement la survenue d’un événement explosif dans la zone d’intérêt.
L’analyse des enregistrements du 3 septembre 2017 avec GridMT a aussi permis de retrouver la nature de la deuxième alerte reçue par le sismologue d’astreinte. Elle correspond pour le physicien à une source implosive qui peut être interprétée comme un effondrement sur le site d’expérimentation nucléaire nord-coréen, à quelques centaines de mètres sous la surface, 8 minutes et 30 secondes après l’essai nucléaire (figure 2). Ce résultat concorde avec les informations révélées par des images satellitaires montrant un affaissement de la surface.
Cette méthode peut aussi être exploitée par le CEA - DAM pour l’analyse en temps réel de tremblements de terre, dans le cadre de l’alerte sismique en France, ou pour les besoins d’alerte au tsunami [4] en région méditerranéenne, par le Centre d’alerte au tsunami (Cenalt).
A. Trilla, Y. Cano CEA - DAM, centre DAM Île-de-France
figure 1
Résultats obtenus automatiquement et en quelques minutes avec le logiciel GridMT pour la détection (temps origine) et la caractérisation (localisation, magnitude et nature explosive) de l’essai nucléaire nord-coréen du 9 septembre 2016. L’événement est déterminé comme une explosion à partir des données enregistrées par quatre stations sismiques (triangles verts). À l’intérieur du cadre en pointillé orange se trouve la grille de calcul, la grosseur des cercles et la couleur indiquent le niveau de détection : les valeurs les plus importantes sont obtenues sur le site d’expérimentation nord-coréen.
figure 2
Double détection de l’explosion nucléaire du 3 septembre 2017 (premier pic, flèche orange) et de l’effondrement dans le massif montagneux du site d’expérimentation (second pic, flèche en violet).
références
1
A. Guilhem Trilla, Y. Cano « Using moment tensor inversions for rapid seismic source detection and characterization: application to the North Korean nuclear tests », Pure and Applied Geophysics, doi: 10.1007/s00024-024-03455-7 (2024).
2
Collectif du CEA - DAM Détection des essais nucléaires - À l’écoute du globe, revue chocs, 50, 116 pages (2020).
3
H. Tsuruoka, H. Kawakatsu, T. Urabe « GRiD MT (grid-based real-time determination of moment tensors) monitoring the long-period seismic wavefield », Physics of the Earth and Planetary Interiors, 175, doi:10.1016/j.pepi.2008.02.014 (2009).
4
A. Guilhem, D. S. Dreger, H. Tsuruoka, H. Kawakatsu « Moment tensors for rapid characterization of megathrust earthquakes: the example of the 2011 M 9 Tohoku-oki, Japan earthquake », Geophysical Journal International, doi:10.1093/gji/ggs045 (2012).